La victoire aux
primaires de François Fillon et l’abandon de Mr Hollande marquent le début d’une
campagne présidentielle qui s’annonce plus que jamais Historique.
Premièrement,
personne ne semble désormais remettre en cause la qualification au second tour
de Marine Le Pen. De nombreux observateurs vont jusqu’à juger sa victoire tout
à fait possible (1). L'acceptation pure et simple de la qualification du FN,
sans réelle remise en question ni des causes, ni des conséquences,
trahit une certaine abdication devant la montée de l’extrême droite et de ses
idées.
Face à la
candidate du parti xénophobe, François Fillon apparaît comme l'alternative la
plus crédible. Or, jamais candidat aussi « libéral » et déterminé à remettre en
question le modèle social Français aussi ouvertement ne s’était présenté à une
élection présidentielle.
L'intuition
voudrait que devant cette vague d’extrême droite et de droite « dure », le
président de la république se dresse en défenseur du modèle social, de la
classe ouvrière et des valeurs dites « progressistes ». Mais son taux
d’impopularité, lui aussi qualifiable d’historique, l’a contraint à jeter
l’éponge. A en croire les sondages, quel que soit son remplaçant, ce dernier
arrivera au mieux troisième et plus certainement derrière Mélenchon et Macron.
La gauche jouit
pourtant d'une configuration rêvée pour l'emporter. Elle bénéficie
d'adversaires clairement opposés à ses valeurs (xénophobe pour l'un, ultra
libéral pour l'autre, tous deux conservateurs). Les avertissements exprimés par
le brexit et la victoire de Trump, les signaux positifs de baisse du chômage et
l'absence de candidature du président sortant constituent autant d'atouts
potentiels. Malgré tout, la gauche au sens large semble condamnée à voter
Fillon au second tour pour faire barrage au FN.
Pour comprendre
cet apparent paradoxe, il faut examiner en détail les causes qui ont propulsé
Fillon au rang d'archi-favori et mis Hollande hors-course.
1) La victoire de François Fillon
La surprenante
ascension de François Fillon a pris tout le monde de court (2), cependant elle
semble rétrospectivement logique. Elle confirme tout d’abord le sentiment de
besoin de renouveau. Exit Sarkozy. Elle s’inscrit également dans un
mouvement général de défiance vis-à-vis du « système » dans le sens où elle
représente la victoire de l’outsider sur les deux grands favoris. Certains
argumentent que les sondages ont en réalité propulsé la victoire de Fillon en
accompagnant presque artificiellement sa progression dans une sorte de
prophétie auto-réalisatrice (3). Quoiqu'il en soit, une chose paraît évidente :
Juppé s’est trompé de campagne. En se plaçant au centre tout en proposant, à
quelques détails technocratiques près, le même programme social et économique
que Fillon, il avait peu de chance de convaincre ni les centristes, ni la
droite dure. Or, surprise, ce sont bien les électeurs de droite, les vrais, qui
se déplacent pour voter à la primaire.
Plébiscité par
les chefs d'entreprise pour son programme libéral et par le noyau dur de la
manif pour tous pour ses positions conservatrices et traditionnelles,
François Fillon se voit d’un seul coup élevé au rang d’archi favori de la
présidentielle, malgré un positionnement néo-libéral difficilement défendable à
l'échelle nationale, en théorie du moins.
En réalité,
l'ascension des idées de Fillon s'explique assez bien. Depuis cinq ans, la
gauche au pouvoir a conduit une politique de centre droit sur pratiquement tous
les fronts. Pour survivre, la droite ne pouvait que se démarquer en proposant
une alternative plus libérale, plus à droite que le modèle du quinquennat de
Sarkozy. Suivant cette logique, tous les candidats à la primaire se sont
positionnés très à droite, et le plus libéral et conservateur d'entre eux a
remporté l'élection.. En ce sens, la victoire de Fillon apparaît comme la
conséquence logique de la politique menée par François Hollande.
2) La défaite de François Hollande
Le renoncement du
président sortant à se représenter sera probablement la décision la plus
commentée de son quinquennat. Mais avait-il le choix ? En 2012, Hollande avait
mené une campagne axée sur le rejet de Sarkozy et sa dérive identitaire, la
remise en cause des politiques d’austérités, la refonte du système de l’impôt
et la lutte contre son seul ennemi, la finance. Sans chercher à dresser ici son
bilan complet, on notera tout de même une suite de décisions qui lui auront
fait perdre le soutien de son électorat.
Après avoir
rapidement plié aux exigences de Bruxelles, il applique sans
fléchir ses recommandations : austérité budgétaire, réduction des charges sur
les entreprises et fluidisation du marché du travail. Ses marges de manœuvres
étroites peuvent expliquer ces choix, mais ne justifient pas d'avoir abandonné
la réforme de l'impôt « Piketty » porté par le Parti Socialiste, ni la
nomination de Manuel Valls à l’intérieur pour poursuivre avec lui les
politiques sécuritaires, et plus dommageable, la rhétorique identitaire de
Nicolas Sarkozy. La complicité dans l’écrasement de la gauche grecque par
l’Allemagne pour protéger les intérêts de cette fameuse Finance viennent
s’ajouter à la gestion catastrophique de la situation au Moyen-Orient. Non
content d’avoir tenté de pousser les Etats-Unis à bombarder dès 2013 l’armée de
Bachar en Syrie (action qui aurait vraisemblablement débouchée sur la victoire
de l’EI dans cette région), il engage la France dans des bombardements massifs
en Iraq aux côtés des américains, sans aucun discernement.
Quelques mois
plus tard, les attentats de Paris font des centaines de morts et démontrent que
peu de moyens avaient été mis à la disposition des forces de l’ordre depuis la
tragédie de Charlie Hebdo et de l'hypermarché casher.
Face à cette
menace historique, Hollande avait l’opportunité d’adopter une posture d’homme
de gauche qui aurait fait école. Au lieu de cela, il paraphrase Georges Bush
Junior, déclare la guerre au terrorisme et proclame l’état d’urgence permanent.
Ce qui n’a pas empêché de nouveaux attentats aussi meurtriers qu’atroces, ni sa
chute dans les sondages, ni à la Russie de massacrer des milliers de
civils en Syrie et de jeter des millions d’immigrants sur les routes. Cerise
sur le gâteau, la décision de promouvoir la loi de déchéance de nationalité,
imaginée par le front national et reconnu, y compris par le gouvernement, comme
symbolique et inutile, achève de diviser son camp et l’oblige à recourir au
49-3 pour faire passer les lois Macron et El Khomri, après avoir au passage
jeté dans la rue des millions de Français et dépouillé ces textes d'une partie
de leur substance.
Sans parler des
réformes faites ou abandonnées, ce qui ressort de ce quinquennat est avant tout
une véritable destruction de la gauche en général et du PS en particulier (4).
A cela, il faut ajouter la prouesse d’avoir achevé de banaliser les thèmes du
FN et de pousser la droite républicaine à se durcir, comme le démontre le
triomphe de François Fillon.
Contraint de
renoncer à se présenter après la sortie d’un livre malvenu et l’abandon de la
plupart de ses soutiens, il laisse l’extrême droite plus forte que jamais, la
droite renforcée et la gauche dévastée.
3) Des enjeux
sans précédants
Plus qu'une
querelle de personne, cette élection risque d'avoir des conséquences
historiques sur la politique de la France. Nous aurons l'opportunité dans les
mois qui viennent d'examiner les principaux points, mais mentionnons tout de
même certains éléments décisifs dès à présent.
Le premier
concerne l'avenir de l'Europe. Le Pen et Mélenchon veulent potentiellement en
sortir, ou du moins renégocier les traités: soit pour en finir avec Schengen et
la coopération européenne, soit pour en finir avec l'austérité budgétaire
et le libre-échange. En fonction du candidat qui gagnera la primaire du PS, le
camp de la remise en cause pourrait même s'élargir, ne laissant que Fillon et
les candidatures plus ou moins centristes pour défendre le fameux "status
quo". A travers ce débat, on voit également se profiler l’opposition protectionnisme
contre néo-libéralisme. Sachant que le premier a devancé le second aussi bien
aux Etats-Unis qu’au Royaume Uni, et que le camp protectionniste est pour l’instant
uniquement incarné par les « extrêmes », on réalise l’importance de
cette question.
Le second
concerne la politique étrangère. Marine Le Pen, financée par la Russie, veut un
rapprochement géopolitique avec cette dernière, tout comme François Fillon. Au risque
de laisser Poutine annexer de nouveaux territoires européens et de faire
éclater l’UE. Les autres candidats se rangent principalement du côté de l'axe
américano-allemand, partisan de l’Europe de la défense et d'un bras de fer avec
la Russie dont les conséquences militaires pourraient être encore plus
catastrophiques qu'un éclatement politique de l'UE. Entre ces deux
alternatives, quelques voix comme celle de Mélenchon appellent à une approche
plus mesurée.
La troisième
concerne le modèle social Français, qui n'a objectivement que peu de chance de
survivre dans la forme héritée du CNR de 1945. En fonction du candidat qui
sortira de la primaire du parti socialiste, il faudra peut-être regarder à la
gauche de celui-ci pour trouver un programme ne proposant pas de remettre en
question l'existence de l'assurance maladie, de la retraite par redistribution
et de l'assurance chômage comme on l'a connait.
Enfin, on pourra
noter l'éducation, qui serait en partie privatisée par Fillon et Le Pen et
probablement modifiée par d'autres candidats, le déficit budgétaire qui risque
presque systématiquement d'exploser et les institutions de la cinquième
république profondément remises en questions par pratiquement tous les
candidats.
Il semblerait
donc que le résultat, quel qu’il soit, aura des répercussions significatives
sur l’avenir du pays.
4) La clé de l’élection 2017
Partout dans le
monde, les "extrêmes" triomphent. Pas ceux de gauche, écrasés en
Grèce par la Troika européenne, et aux USA par le système médiatique (Bernie
Sanders avait été victime d’une formidable campagne de marginalisation (5))
mais bien ceux de droite.
Dans ce contexte,
la classe ouvrière ou plus généralement la classe des « oubliés de la
mondialisation », peu éduquée, vieillissante et rurale semble être le nouveau
faiseur de roi. Faisant basculer le Royaume Uni du côté du Brexit, mettant
Trump au pouvoir et dans de nombreux pays européens l'extrême droite au
gouvernement. Ce sont bien ces électeurs, votant jadis à gauche ou à l’extrême
gauche, qui viennent peu à peu renforcer les rangs du front national.
Pourtant, les
baisses d'impôts sur les riches et la suppression de la couverture santé promis
par Donald Trump, l'augmentation des prix à la consommation et la fin des
aides européennes aux régions défavorisés suite au Brexit sont autant de
conséquences pénalisant directement cette classe sociale.
D’où une question
fondamentale : pourquoi autant d’électeurs votent contre leurs propres intérêts
?
La réponse
avancée par les éditorialistes américains se résume à deux préjugés: ces
électeurs sont racistes, et idiots.
Le premier est
facile à démentir: ce sont les mêmes électeurs qui avaient élus Barack Obama,
un noir, deux fois de suite à la maison blanche. Dans le cas de la France, ce
sont ceux qui avaient permis à l'extrême gauche de totaliser un score de 16,3%
au premier tour en 2002.
Le second ne
résiste pas non plus à une analyse objective de l'histoire récente.
Aux Etats-Unis,
les gouvernements successifs de droite comme de gauche se sont fait les
champions de la mondialisation. Clinton allant jusqu'à vanter les traités
commerciaux devant les banquiers de Wall Street (contre de belles sommes
d'argent qui plus est). Pour des raisons géostratégiques plus qu’idéologiques,
Barack Obama s'est également efforcé de mettre en place deux nouveaux traités
de libre échange au cours de son mandat: un premier avec l'UE et un
second avec l'Asie (à l'exception de la Chine, dans un but d'isolement
commerciale de cette dernière).
En France, la
gauche comme la droite n'ont eu de cesse de continuer la construction
Européenne basée sur une doctrine de libre échange et de mise en concurrence de
tous les secteurs de l'économie. Le refus de reconnaître la victoire du non au
référendum de 2005 et la poursuite des politiques d'austérité depuis 2010
(contre les recommandations du FMI) aura achevé de décrédibiliser l'offre
politique classique. Pour exprimer leur mécontentement, car ce mécontentement
ne peut que chercher à s'exprimer, les électeurs ne possèdent que deux options.
La première est
celle offerte par "l'extrême gauche". Incarnée aux Etats-Unis par
Bernie Sanders, en Europe par Podémos, Syriza et en France par Mélenchon et les
communistes. Dans chaque cas, le fameux "système" semble s'être érigé
en défenseur de l'ordre établis, contribuant à décrédibiliser et marginaliser
l'option "de gauche". C'est particulièrement vérifiable dans le cas
de Bernie Sanders et de Syriza. Mais il suffit de revoir l'interview au 20h de
TF1 de Jean Luc Mélenchon daté du 2 décembre pour se rendre compte du travail
de sape effectué par le système médiatique (le journaliste ouvre l'interview en
demandant à Mélenchon s'il a copié son programme sur celui de Marine Le Pen,
avant de chercher à le mettre systématiquement en difficulté, forçant ce
dernier à reprendre les propos inexact du journaliste).
Avec la solution
de gauche marginalisée, il ne reste plus à l'électeur en colère qu’à voter pour
le seul parti soit disant alternatif, l'extrême droite.
La campagne
devrait donc se cristalliser autour de deux axes: la bataille pour les
électeurs "laissés pour compte" et la justification médiatique de ce
qui est "crédible" et ce qui ne l'est pas.
La victoire
inattendue de Fillon et l'abandon non moins surprenant de François Hollande
redistribue un peu les cartes, aussi bien au centre qu'à
gauche.
Une chose est sûre,
la campagne s'annonce à la hauteur des enjeux: historique.
Notes et références:
- Entre autre, Sylvie Kauffmann,
ex-directrice de la rédaction du monde, dans une tribune publiée dans le
New York Times, et Nicole Gnesotto, présidente du conseil
d'administration de l'Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale,
professeur, titulaire de la chaire sur l’Union européenne au (CNAM) au micro
de “l’esprit public”
- En particulier François Hollande,
comme en témoigne les extraits du livre “un président ne devrait pas dire ça”.
- Alain Garigou, « comment les
sondages ont fait gagner Francois Fillon »: http://blog.mondediplo.net/2016-11-24-Comment-les-sondages-ont-fait-gagner-Francois
- René Lefebvre, L’autodestruction du
Parti socialiste, le monde diplomatique Juillet 2016. http://www.monde-diplomatique.fr/2016/07/LEFEBVRE/55959
- En particulier par le Washington Post
et le New York Times, deux titres phares de la presse démocrate aux
Etats-Unis. Cf « Tir groupé contre Bernie Sanders » Le Monde
diplomatique Décembre 2016.
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