mercredi 23 novembre 2016

Debrief: premier tour de la primaire de la droite et du centre

Ouf ! Les élections continuent de nous amener des surprises. Petite analyse de l’entre deux tours de ce qui pourrait bien constituer le scrutin le plus important des cinq prochaines années.


1)  Les enseignements  du premier tour


La défaite de Nicolas Sarkozy


Avant de parler de la large victoire de François Fillon, revenons un instant sur la défaite de Nicolas Sarkozy.

Depuis son arrivée au ministère de l’intérieur en 2002, Mr Sarkozy n’a eu de cesse de diviser la population française à coup de politiques réactionnaires, de phrases clivantes et populistes et de mesures xénophobes. Signant la fin de la police de proximité dans les banlieues afin de les « nettoyer au karcher » pour en supprimer « la racaille ». Mettant en place une politique de déportation souvent inhumaine tout en fustigeant de manière populiste les Roms, les musulmans et les immigrés.  Au fil des années, ses appels du pied aux électeurs du front national ont fini par brouiller les pistes et banaliser les thèmes de ce dernier, au point de permettre à Marine Le Pen de juger sa proposition d’incarcérer préventivement dans des camps de dé-radicalisation les individus listés sur fichier S comme « anti-républicaine ». 

Lors des débat,  ses propos visant à attiser les peurs (des centaines de millions d’Africains, six enfants par femme, prêts à profiter du regroupement familial pour venir en France égorger des curés (1)) ne lui auront pas permis de se qualifier pour le second tour.

Un président battu à sa propre réélection, revenant en politique avec comme seule proposition un surplus de populisme et de xénophobie, n’aura finalement pas réussit son pari. Sans même mentionner les affaires dans lesquels il est mis en cause, nous pouvons nous féliciter de le voir forcé de tirer sa révérence. 

Pourquoi a-t-il perdu ? Il semblerait que sa stratégie anti-centriste, visant à déstabiliser Juppé, ait profité à François Fillon. Mon optimiste me pousse également à penser que les électeurs se sont attachés à démontrer qu’il ne faut pas trop prendre les Français pour des cons (2). 

L’absence notoire de sondages d’opinion en sortie des urnes (pourtant si riches en enseignements dans le cas des Etats-Unis et de l’Angleterre) ne permet pas de savoir quel a été le rôle des électeurs du Front National et de la gauche, qui représenteraient entre 10 et 25% de la participation (3). Ont-ils votés par calcul pour Sarkozy, par conviction pour Juppé ? Une chose est sûre, ils n’ont pas voté pour Copé, dont les 0.3% sont une seconde bonne nouvelle pour toute personne se disant « républicaine ».


La participation

Plus de quatre millions de Français sont allés voter, soit dix pour cent du corps électoral. 

Cette forte participation est-elle le signe d’un engouement pour les valeurs de la droite et du centre ?   A en croire le fameux sondage (3), non. Néanmoins, la première place de François Fillon, arrivé largement en tête, remet sur le devant de la scène une partie de l’électorat que l’on aurait tendance à sous-estimer facilement. Non pas l’électorat populaire type Trump/Brexit, mais, semblerait-il, l’électorat catholique,  de droite dure, attaché aux valeurs traditionnelles et de ce fait à la posture conservatrice de Mr Fillon. Ce sont bien eux, devant les potentiels électeurs de gauche, qui ont bouté Sarkozy hors de cette primaire en reportant leurs voix sur Fillon. 


Les sondages

Une fois de plus, les sondages avaient complètement faux. Mais avec autant d’inconnues (la participation, en quantité comme en qualité) et un dernier débat à deux jours du scrutin, saisir une tendance ne semblait pas chose facile.

On retiendra que les calculs politiques semblent remis en question, puisqu’ils s’appuient tous sur les fameux sondages d’opinions. Fillon avait clos le troisième débat par une phrase efficace qui résonnera chez beaucoup de personnes, quelle que soit leur opinion politique : 

 « Nous les Français, nous sommes un peuple fier. Et nous n’aimons pas qu’on nous dicte nos choix. Dimanche prochain, je dis aux français qui nous regardent, n’ayez pas peur, n’ayez pas peur de contredire les sondages et les médias qui avaient déjà tout arrangé à votre place. Ne faites pas de calcul. Ne choisissez pas de voter pour un candidat pour en éliminer un autre, choisissez de voter pour vos convictions, c’est le seul choix qui est digne de vous, et c’est le seul choix qui est digne de la France. »

Les experts ne l’avait pas vu venir, il suffisait pourtant de regarder les débats


Juppé vs Fillon

Le maire de Bordeaux sort incontestablement affaibli de ce premier tour. Le positionnement  « centriste et rassembleur » n’a pas payé. En ces temps de « révolte populaire » le candidat poussé par les sondages et les grands médias accuse désormais plus de six cent mille voix de retard. Un handicap qui peut paraitre insurmontable quand on sait que Sarkozy a explicitement apporté son soutien à François Fillon, choix politiquement logique. Depuis l’annonce des résultats, les autres soutiens se précipitent aux pieds du nouveau faiseur de roi, pour la simple raison que personne ne veut parier sur le cheval perdant. Cet élan politique devrait permettre à François Fillon de remporter facilement le second tour. Devrait, car il serait bien présomptueux de conclure trop vite à la défaite d’Alain Juppé.
Pourquoi est-il en si mauvaise posture ? A mon sens, en plus d’être apparu comme le candidat du système médiatique, c’est du côté de sa performance aux débats qu’il faut regarder. A ne vouloir froisser personne, on finit par ne pas séduire grand monde non plus.

A l’inverse, Fillon a adopté une posture complètement assumée, sans s’excuser de ses opinions parfois extrêmes. L’authenticité paye. Lorsque Hillary Clinton avait accusé Trump de ne pas payer d’impôt, il avait répondu « ça fait de moi quelqu’un d’intelligent ».  Reste à savoir si ces électeurs fraichement acquis ne feront pas demi-tour lors du second tour !


2) Le second tour : analyse rapide


Le duel Fillon-Juppé

Alain Juppé l’a annoncé d’entrée, ça sera un duel programme contre programme. Les médias l’ont pris au pied de la lettre et nous vendent un match entre l’ultra libéral et conservateur Fillon contre le social-libéral et modéré Juppé. 

Les différents sites internet comparent les programmes (4). Pour les résumer, rien de tel qu’un petit  graphique dit de « référentiel Pol Fiction ». 

1) Fillon et Jupé sur le référentiel Pol Fiction, tel qu’on nous le présente dans les principaux médias :





2) La réalité :



Comme vous pouvez le constater, j’ai du « zoomer » sur le graphe pour différencier de façon intelligible les deux candidats. En réalité, leurs programmes sont si proches qu’il est presque comique de lire les fameux articles traitant des « différence de programme ». 

Mis à part les variables d’ajustement technocratique (combien de fonctionnaires en moins, de places de prison en plus, de baisse d’impôts, de points de hausse de la TVA…) il n’y a en réalité que deux différences fondamentales.

La première concerne un petit groupe de personne, la seconde l’Europe tout entière. 

Ainsi, Fillon veut « restreindre » l’adoption des couples homosexuels, tandis que Juppé y est « favorable » (5). Si on ajoute sa position clairement contre le Burkini, cela fait de Fillon le champion de la droite catholique et lui permet de gagner le soutient non négligeable des héritiers de la manif pour tous. Plus sérieusement, on peut parler de différence de valeur, Fillon étant un catholique affirmé tandis que Juppé se veut plus « progressiste ». 

Le second concerne la politique étrangère de la France, en particulier vis-à-vis de la Russie. C’est un point essentiel sur lequel nous allons revenir par la suite.

Compte tenu de ces faibles différences objectives, le duel va se faire à priori plus sur les personnes que sur les programmes, n’en déplaise à Juppé. Bien sûr, Fillon adopte une posture médiatique plus « libérale » dans le but de se différencier (cf. premier tour) et de rassembler le noyau dur de la droite. Mais ses mesures emblématiques (comme la suppression surréelle des 600.000 fonctionnaires tout en augmentant de 50.000 le nombre des policiers, ou la suppression de la durée légale du travail) ne sont là que pour assurer un positionnement politique. 

A la lumière des précédents débats, il parait douteux qu’Alain Juppé parvienne à inverser la tendance. Les électeurs de droite vont choisir un candidat pour gagner, et compte tenu du succès de Fillon au premier tour, le choix semble s’imposer de lui-même.


La politique étrangère.

Fillon a un avantage considérable : dans un domaine extrêmement complexe, son message est extrêmement simple : on se rapproche de la Russie.

Après avoir réussi à faire élire Trump, Poutine doit jubiler dans son bureau du Kremlin.

Honnêtement, je pense que les questions de politique étrangère sont les plus complexes à trancher. Je vais donc faire de mon mieux pour résumer la question, dans la limite de mes compétences.

La Russie mène une politique d’expansion dans une logique de guerre froide (6). Après avoir envahi la Crimée et poussé l’Ukraine à la guerre civile, déclenchant à l’initiative des Etats-Unis et de l’Allemagne des sanctions économiques (la France ayant dû annuler la livraison de deux frégates à la Russie et lui rembourser 1.2 milliards d’euro (7)), l’ex URSS a poursuivi un réarmement qui a conduit les Etats-Unis à augmenter les forces en présence aux frontières dans une escalade dénoncée par le monde diplomatique (6) comme dangereuse, et plutôt à l’initiative des occidentaux. 

La Russie a ensuite pris pied avec une redoutable efficacité au proche orient en assurant le maintien de Bachar Al Asad au pouvoir au prix d’un véritable tapis de bombes, la chose la plus éloignée possible des frappes chirurgicales d’Obama. Sans surprise, ces bombardements massifs ont été efficaces, écrasant tout ce qui se dressait contre Bachar (les rebelles armés par les Américains et la France bien plus que les Djihadiste de l’EI) avec comme conséquence des millions de migrants déplacés (1 million en Allemagne, deux ou trois en Turquie).

Les Européens sont coincés car l’action russe porte ses fruits (avec des dégâts collatéraux difficilement acceptables) et le jeu des alliances internationales ne leur laisse quasiment aucune marge de manœuvre. 

S’allier avec la Russie pose problème dans de nombreux cas. Non seulement on cautionne un drame humanitaire, mais en plus on s’expose à de profonds dilemmes si Poutine se fâche avec la Turquie (qui menace de pousser deux millions de migrants vers l’Europe) et si Poutine se décide à répéter l’expérience Ukrainienne dans un autre pays de l’Europe de l’Est (l’Estonie, membre de la zone Euro,  vient d’élire un président pro-russe). En clair, on se met à sa merci. 

Poutine a intérêt, semble-t-il, à continuer sa logique de guerre froide pour des raisons de politique intérieure. L’économie Russe fait la taille de l’économie espagnole et est mise à mal par l’effondrement du prix du pétrole et les sanctions économiques. Pourtant, les Russes admirent Poutine. La raison est simple : la mentalité russe est très différente de la mentalité européenne et les questions de prestige international et de nostalgie de grande puissance sont plus importantes à leurs yeux que les aspects économiques (8). De plus, Poutine contrôle l’ensemble des médias russes et s’en sert pour rendre l’occident coupable de tous les maux (pas entièrement à tort puisque les USA et l’Allemagne ont imposé des sanctions et que les USA ont causé l’effondrement du cours du pétrole). Les chaines russes manipulent les faits avec une force qui ferait passer FoxNews pour Mediapart en comparaison. 

Dernier élément, Poutine s’érige en nouveau gardien de la foi Chrétienne. La nouvelle cathédrale construite à Paris a été financée par son gouvernement et le dictateur devait se rendre à Paris le mois dernier pour l’inaugurer. François Hollande lui a refusé ce privilège, jugeant assez inopportun de s’afficher avec Monsieur Poutine pendant que ce dernier violait le cessez le feu d’Alep.
  
Dans ce contexte, la russophilie de Fillon inquiète les experts. Mais les va-t’en guerre américains inquiétaient tout autant les même experts (9), d’où une certaine difficulté à se faire une idée de la meilleure position à adopter (si tant est que la France ait réellement le choix). Une chose est sûre, avec Donald Trump à la maison blanche et Poutine qui réarme la Russie à toute vitesse et vient de rouvrir le KGB, l’avenir est incertain. 


Pour qui voter ?

Les électeurs de droite doivent choisir leur champion, et s’ils peuvent s’accommoder des connivences russes de ce dernier, Fillon semble l’homme de la situation. Je dis cela en me basant entièrement sur les prestations télévisuelles et le fait que pas loin de 2 millions de français aient voté pour lui au premier tour de la primaire.

Le débat de ce jeudi devrait permettre de trancher, pour les indécis du moins. 

Comme Fillon l’a très bien dit lui-même, voter par calcul semble particulièrement contreproductif. Combien d’électeurs du FN seraient séduits par le vote Fillon ? Que fera Bayrou ? Quel candidat sera le plus à même de passer au premier tour, et de battre Marine Le Pen au second (si tant est que les sondages aient raison sur ce point…) ? Fillon mobilisera probablement d’avantage la gauche contre lui et le vote blanc au second tour s’il affronte Le Pen. Mais il permettra peut-être à Hollande de se présenter, à Macron de décoller….  Juppé à plus de chance de l’emporter au second tour, quel que soit son adversaire, s’il y parvient…Bref, les calculs sont voués à l’échec. 

Si vous êtes de gauche, la première question qui se pose est pourquoi diable aller voter ? Je vous ramène au graphique de la première partie…

Seulement, un vote à la primaire comptant dix fois plus qu’un vote à la présidentiel (du fait de la participation), donner son avis peut être tentant. Voter par calcul n’étant pas acceptable, il ne vous resterait plus qu’à voter Juppé, si vous êtes particulièrement inquiet par le virage pro-russe que promet Fillon, ou son conservatisme qui risque de mettre à mal les droits des couples homosexuels.  Ce sont là des raisons acceptables, mais n’oubliez pas que chaque vote à cette primaire donne de la force et légitimise le futur vainqueur, quel qu’il soit.

L’utilisation des thèmes du FN, le débat sur le burkini et toutes ces choses pas très jolies s’inviteront dans la campagne, d’une façon ou d’une autre. Mais réjouissez-vous, ça ne sera plus à l’initiative de Nicolas Sarkozy. ..

Prochain article après les résultats, je ne serai effectivement pas en mesure de débriefer le débat de Jeudi soir pour cause de vacances :)


(1) Paraphrase de Nicolas Sarkozy, à partir de deux interventions mis bout à bout lors du premier débat, citation « de mémoire ».
(2) Si je peux me permettre ce langage 
(3) Sondage réalisé pour BFMTV le jour du vote sur un échantillon de 675 électeurs montrant que 63% des électeurs sont « de droite ou du centre », 15% de gauche, 14% sans préférence et 8% du FN. Cela revient à dire que les électeurs directement concernés se sont déplacés en même nombre que les électeurs de la primaire à gauche (2.8 millions). 
(4) Voir lemonde.fr, lci.fr, lefigaro.fr, Marianne…
(5) Lci.fr
(6) https://www.monde-diplomatique.fr/2014/09/HALIMI/50753 
(7) http://www.lemonde.fr/international/article/2015/08/06/la-france-n-aura-a-verser-aucune-penalite-pour-la-non-livraison-des-mistral-a-la-russie_4714762_3210.html
(8) Après avoir travaillé avec de nombreux ingénieurs russes « occidentalisés », je peux en témoigner.
(9) Idem (6), plus l’émission « l’Esprit public » du 16/10/2016

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