Le choc initial provoqué
par l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis m’a conduit à
analyser en premier lieu les conséquences de ce « coup de tonner
politique » avant de traiter des causes.
Maintenant que les
données électorales sont disponibles et pratiquement finalisées, il est temps
de revenir aux raisons qui expliquent ce résultat.
Mon premier post sur les
élections américaines, publié à la vieille du premier débat présidentiel,
contient l’essentiel des explications. Je me permets de vous en recommander la lecture, en particulier pour mieux saisir le contexte et le déroulement de la
campagne.
Je voudrais néanmoins, à la lumière des
résultats, revenir sur certains points et étendre l’analyse en dehors du cadre
des Etats-Unis.
Avant de discuter des
causes, profondes et complexes, rappelons
les faits :
Donald Trump l’emporte
sur Hillary Clinton avec 306 grands électeurs contre 232 (un minimum de 270 étant
nécessaire pour être élu). Il a obtenu 60,834 millions de voix, contre 61,782 millions pour Clinton, 4,281 millions pour Gary Johnson (parti libertaire),
et 1,310 millions pour Jill Stein (parti écologique). (1)
Le taux de participation
s’élève à 56.9%. Contre 57.5% en 2012, 62.3 % en 2008, 60.4% en 2004 et 54.2%
en 2000 (2)
Conclusion : Hillary
Clinton gagne le vote populaire avec près d’un million de voix supplémentaires,
mais perd le collège électoral de façon assez significative (Trump ayant deux à
trois états d’avance).
Pour comprendre d’où
provient cette disparité, observons la fameuse carte électorale :
Source :
politico.com
Première chose qui saute
aux yeux, les états les plus prospères (Nord de la côte Est et côte Ouest) ont
voté Clinton, les états du sud et du midwest ont voté Trump. La différence avec
les élections précédentes concerne les états de la « rust belt »
(ceinture de rouille) situés au centre nord des Etats-Unis et correspondant aux
états industriels.
La nature rurale du vote
Trump saute aux yeux, mais cela devient encore plus évident lorsque on zoom sur
des états remportés par Clinton :
L’état de New York (29 grands électeurs), remporté
par Clinton avec 58.8% des voix.
Le découpage représente les county
(comté), avec en rouge les county gagné par Trump et en bleu ceux gagnés par
Clinton. Les county vert sont gagnés par Clinton avec plus de 80% des voix. Le
cercle rouge représente la ville de New York.
L’Illinois (20 GE), gagné par Clinton avec 55.4%
des suffrages. Le cercle rouge
représente la ville de Chicago…
La Louisiane (8 GE), que Trump emporte avec 58%
des voix. Les deux cercles
représentent les deux principales villes, la Nouvelle Orléans et Bâton Rouge…
On comprend facilement
que c’est bien le vote rural qui a porté Trump à la maison blanche.
Seconde remarque :
l’élection est plus serrée que le résultat final porte à croire. Ce n’est que
la deuxième fois en 150 ans que le vainqueur du vote populaire perd la
présidence (après Al Gore en 2000).
Clinton perd la Floride (29
GE) de 1.3%, le Michigan (16) de 0.3 % (13 000 votes), la Pennsylvanie (20) de 1.2% et le Wisconsin (10) de 1.0%. Elle gagne le New Hampshire (3)
de 0.3 % et le Minnesota (10) de 1.5%. Trump possède un avantage de 36 grand
électeurs, confortable mais à mettre en perspective des victoires d’Obama (62
et 65), Georges W Bush (16 et 1) et Bill Clinton (109 et 100).
La véritable conclusion
qui ressort des résultats se résume en une phrase : Trump est parvenu à
conserver tous les états « acquis » aux républicains, remporte les cinq
swing states clés, et, fait complètement inattendu, arrache les états du
Michigan et du Wisconsin, deux bastions démocrates ayant votés
« bleu » lors des six dernières élections.
Le côté
« serré » de l’élection ne doit cependant pas faire oublier qu’il y a
un an, n’importe quel expert aurait prédit une victoire de Clinton avec une
marge historique (de 10 à 20 % et une carte électorale essentiellement bleu).
Que s’est-il passé ?
Pour comprendre la victoire de Trump, il faut regarder en particulier les 7
états clés.
Avant de rentrer dans le
vif du sujet, je voudrais finalement noté que 42% des femmes ont voté pour
Trump, malgré ses attaques particulièrement sexistes, et que plus de 60% des
électeurs ont jugé Trump « non qualifié » et « ne possédant pas
le tempérament » pour être président. (4)
1) Les électeurs
de Trump
Il ressort des chiffres
officiels un fait indiscutable : la classe ouvrière et classe moyenne
blanche, en particulier celle dépourvue de diplôme universitaire et de genre
masculin a voté majoritairement pour Donald Trump. Ce groupe démographique est
essentiellement rural et se retrouve en proportion dominante dans les états
traditionnellement républicains du midwest, et dans les fameux états de la Rust
Belt.
Cela explique clairement
la défaite surprise de Clinton dans le Michigan et le Wisconsin (où elle
n’avait pas jugé utile de faire campagne), ainsi que la victoire relativement
confortable de Trump dans les Swing States de l’Ohio et, dans une moindre
mesure, de la Pennsylvanie.
A la lumière de ces faits, il serait tentant et
facile de réagir négativement en taxant ces électeurs de racistes, xénophobes
et imbéciles non-éduqués.
L’intuition semble
justifiée : Clinton promettait une politique de redistribution des
richesses, le maintien des programmes sociaux, la hausse massive du salaire
minimum et le maintien de l’assurance santé (qui profite en priorité à ces
électeurs). Ils doivent à Obama le sauvetage de l’industrie automobile qui,
directement ou indirectement, fourni la plupart de leurs emplois.
Trump, lui, promet
d’annuler Obama Care, de baisser massivement les impôts sur les riches, de
déréguler la finance de wall street et d’augmenter les dépenses militaires.
Pourquoi ces gens ont-ils voté contre leurs intérêts apparents ? Est-ce
leur racisme et leur manque d’éducation qui est en cause ?
La vérité est plus complexe. Ce sont ces mêmes électeurs qui avaient porté le premier président noir au pouvoir en
votant massivement pour Obama.
Le monde diplomatique
dresse un portrait très instructif de cette classe ouvrière blanche. Pour
résumer, ce sont les oubliés et les victimes de la mondialisation. Leur salaire
stagne depuis des années, leurs conditions d’emplois sont menacées par
l’automatisation et le libre-échange. La révolution technologique de la
Sillicon Valley ne les concerne pas plus que les valeurs progressistes portées
par les habitants des grandes villes dont le style de vie et l’expérience
quotidienne est très différente. Ils avaient soutenu Obama, une
fois de plus, ils ont choisi le candidat du changement.
Ce revirement de la
classe ouvrière, choisissant le candidat anti système plutôt que le candidat de
gauche peut s’expliquer par leur expérience du fameux système.
Des milliards de dollars
pour renflouer les banques, des nouveaux traités de libre échange en
préparation (le transatlantique et le transpacifique) et un congrès bloqué (par
les républicains, ironiquement) depuis six ans constituent autant de raison de
ressentir une profonde colère.
Trump a vite compris que
la clé de cette élection résidait dans ces électeurs. Il a axé sa campagne
sur ces états, et son discours sur cette frange de la population. Fustigeant
l’immigration, le libre-échange, la mondialisation et les élites. En
particulier les médias et les politiciens qui ont trompés les américains en leur vendant la guerre en Iraq et le
sauvetage de Wall Street. Se basant sur une vision extrêmement négative de
l’Amérique, attisant la colère et les peurs, son discours a eu un écho sans précédent
sur cette population de laissé pour compte.
Leur expérience
quotidienne de la vie rurale est bien éloignée des préoccupations des
intellectuels citadins. Non exposé au multiculturalisme inhérent aux grandes
métropoles, les sujets tels que les droits des homosexuel, le respect des
minorités, le droit à l’avortement et le prestige international des Etats-Unis sont loin de leur
préoccupation. Sans oublier cette peur toute compréhensible d’un monde qui
change toujours plus vite et se complexifie avec des conflits internationaux
plus difficiles à appréhender, une diminution de leur représentation dans la
population américaine de plus en plus multiculturelle, et une mondialisation et
automatisation des moyens de productions qui s’accélère.
Or cette population se rend aux urnes. Elle est globalement plus âgée
et culturellement encline à aller voter. Trump a su captiver cet électorat avec
brio. Bernie Sanders avait également perçu et séduit cette frange de la
population.
Clinton, elle,
représentait une dynastie, une carriériste politique et une élite
intellectuelle qui avait essentiellement tourné le dos à la classe
ouvrière.
2)
Les électeurs
de Clinton
Obama termine son mandat
avec un taux de popularité historique de 55%. Clinton se présentait comme
la candidate de la continuité, promettant de poursuivre les efforts entrepris.
Pourtant, l’électorat n’a pas suivi. Les noirs et les jeunes, en particulier,
se sont déplacés en bien moins grand nombre que lors des élections précédentes.
Les hispaniques ont globalement répondu présent et voté démocrate (cela se voit
en particulier dans les états et comtés
limitrophes du Mexique) mais ont fait défaut en Floride et sont présent
en trop faible nombre pour peser sur les résultats de la Rust Belt.
Le bilan est
limpide : Trump a mobilisé son électorat dans les états clés (alors qu’il
est en recul impressionnant au Texas), et Clinton n’est pas parvenu à mobiliser
le sien.
3)
Le cas
Clinton
Clinton aurait probablement fait un excellent président,
mais elle constituait incontestablement une mauvaise candidate.
Symbole d’une dynastie,
du système, de la classe politique, ancienne championne de la mondialisation,
du libre-échange et de la guerre en Iraq, sont handicap semblait considérable.
Les discours auprès des banques de wall street, rémunérés des dizaines de
milliers de dollars, diffusés par Wikileaks (grâce aux hackeurs russes) et sa
volonté de se présenter malgré sa défaite lors des primaires des 2008 face à
Obama formait un portrait peu élogieux d’une femme par ailleurs dotée de
grandes qualités (5)
Son faible charisme l’a amené
à éviter les meetings politiques et à se focaliser sur les diners dans les
milieux d’affaires afin de lever des fonds qui furent ensuite utilisés pour
inonder les chaines de télévisions et les réseaux sociaux de publicités aux
effets assez faibles comparés à la publicité gratuite que recevait constamment
Donald Trump (nous y reviendrons) dans tous les grands médias.
A ces handicaps, il faut
rajouter quatre « scandales » qui ont empoisonné sa campagne et généré
une publicité négative complètement disproportionnée (6).
1. L’audition devant le congrès
suite à l’attaque de l’ambassade américaine de Benghazi du temps où elle était Secrétaire
d’Etat. Une séance de dix-huit heures qui a complètement blanchi Clinton mais
qui fut souvent cité par les républicains, allant jusqu’à l’accuser de meurtrière (sic).
2. L’utilisation d’un
serveur d’email privé et la suppression de milliers d’emails avant que le FBI
ne se saisisse de l’enquête. Le FBI (dont le directeur est républicain) a
conclu qu’elle n’avait commis aucune faute répréhensible, mais a jugé bon de
ressortir le dossier à dix jours de l’élection (avant de conclure de nouveau au
non-lieu).
3. Des conflits d’intérêts
potentiels entre la fondation Clinton (œuvre caritative à but non lucratif) et
sa candidature, du fait de la provenance de certaines donations. Rien d’illégal
cependant.
4. Finalement, les fuites
via les piratages russes des emails du parti Démocrate qui démontrent que ce
dernier a favorisé de façon
injustifiable la campagne de Clinton au détriment de celle de Bernie Sanders
lors des primaires.
Hillary a également
commis une maladresse en qualifiant lors d’un meeting privé les électeurs de
Trump de former un « panier de déplorables », citation maintes fois
reprises par les médias et les journalistes lors des débats télévisés.
Si on compare
objectivement ces faits avec les nombreux scandales de Donald Trump que je me
sens obligé, par soucis d’équité, de rappeler une énième fois ici (procès contre son université jugé
frauduleuse, corruption d’élus, détournement de donation pour profit personnel,
condamnation pour discrimination à l’embauche, recours à l’immigration
clandestine dans ses entreprises, multiples accusations de harcèlement sexuel,
vidéo ou il se vante de se livrer à du harcèlement sexuel et refus de publier
ses déclarations d’impôts) on ne peut qu’y voir une certaine disparité.
Si on ajoute aux
« scandales » les déclarations toutes aussi scandaleuses du candidat
républicain (proposition de légaliser la
torture, de construire un mur pour empêcher les mexicains, « violeurs
et trafiquants », d’envahir le pays, d’affirmer déporter 13 millions d’immigrés sans papier, y compris les enfants,
ses multiples insultes envers les femmes (« truies »,
« dépravés »), les moqueries envers les handicapés, les vétérans de
guerre, les propos racistes envers les
noirs et les hispaniques, le refus de condamner le soutient d’ancien membre
de l’organisation illégale
KuKluxKlan, l’incitation au meurtre de Clinton, le refus de reconnaitre les élections en cas de défaite, la
perpétration du mensonge raciste concernant les origines d’Obama, l’accusation
de trahison d’Obama et Clinton qui aurait créé l’Etat Islamique, la proposition
de bannir l’accès au sol américain aux Musulmans… ) on est en droit de se
demander pourquoi les études du New York times concluent que, jusqu’à tard dans
la campagne, Clinton a bénéficié d’un couverture deux fois plus négatives que
Trump. Ce qui nous amène au point suivant.
4)
La fin d’un
monde : le rôle des nouveaux médias.
La campagne de Trump
s’est articulée autour de trois axes principaux : le rejet de
l’immigration, le rejet de la mondialisation et le rejet des élites. Le tout
appuyé par un slogan percutant « make america great again”.
La campagne de Clinton,
elle, s’est rapidement transformée en rejet de Trump et de ses valeurs
racistes, sexistes, homophobes et xénophobes tout en essayant de réfuter l’idée
selon laquelle l’Amérique serait en déclin.
L’élection c’est
essentiellement jouée sur un choix « contre Trump et ses valeurs» ou
« contre Clinton et le système ».
Le fait que le rejet du
système l’ait emporté sur le rejet des valeurs du candidat républicain
s’explique en partie par la démographie des électeurs, comme nous l’avons vu,
mais également par le rôle des médias qui ont permis à deux effets pervers de
faire basculer l’élection.
Le premier est d’avoir validé
la vision alarmiste de la société américaine dépeinte par Trump, le second est
d’avoir minimisé les différences morales entre les deux candidats en les
mettant de fait sur un pied d’égalité.
Sur le premier point, la
couverture médiatique dont a bénéficié Donald Trump lui a permis de marteler
des idées fausses concernant un peu près tout ce qu’il voulait. Non contesté
lors des 12 débats républicains (ses adversaires partageant en grande partie
son point de vue…), sa vision a profité d’une tribune sans précédent via les
chaines d’informations continues qui sont allées jusqu’à diffuser ses meetings
dans leur quasi intégralité sans aucun filtre (le directeur de CNN vient de
s’en excuser publiquement). Lors d’un épisode symbolique, les chaines
d’informations ont interrompu la couverture du meeting de Clinton pour diffuser
les images du podium d’un meeting de Trump pendant les dix minutes qui ont
précédé son arrivé. Le podium de Trump sans Trump plutôt que celui d’Hillary
avec Hillary !
Pourtant, les faits ne
manquaient pas pour invalider les thèses républicaines : un taux de
chômage proche du plein emplois (4.8%), une croissance particulièrement
vigoureuse comparée au reste du monde (3.5%), une criminalité en baisse
constante, un pétrole incroyablement bon marché dans un contexte d’indépendance
énergétique, des accords sur le climat historique, une détente avec l’Iran et
Cuba, vingt millions d’américains supplémentaire bénéficiant d’une couverture
santé, le taux de pauvreté en baisse…
La perception de cette
fameuse classe ouvrière blanche différait drastiquement avec ce constat. Parce
que les salaires stagnent, que le futur est menaçant (terrorisme,
automatisation et mondialisation), mais surtout parce que le matraquage
médiatique, en particulier via les « nouveaux médias » ne retient que
les mauvaises nouvelles.
Un exemple : tout le
monde sait que les voitures Tesla prennent feu. Pourquoi ? Parce que DEUX
Tesla ont pris feu lors de collisions survenues à plus de 120 km/h. Pourtant,
personne ne sait que dans la même année plus de milles voitures
conventionnelles ont pris feu avec le conducteur à bord, et que les chances
d’incendies dans une Tesla sont statistiquement 1000 fois inférieures à celles
d’une voiture essence (par Km parcouru).
Seulement, tout le monde
a partagé les articles, tweet et « meme (7) » montrant les Tesla en
flammes, ignorant l’autre aspect de l’histoire.
C’est ce flux constant
d’information partielle jouant sur l’émotionnel qui est en partie responsable
d’une perception erronée de la réalité. A tel point que le chef du parti
républicain avait affirmé à des journalistes de Fox News abasourdis que ce n’était
pas les faits qui comptaient, mais la perception des gens (en clair, le réel
n’a aucune valeur, seule la perception des électeurs de ce réel est digne
d’intérêt).
La fin d’un monde donc, la fin du monde rationnel.
Sur le second
point : il aura fallu attendre le premier débat présidentiel (soit un an
de campagne) pour que les grands médias américains (en particulier les chaines
d’informations continues, Fox News, CNN et MBC) cessent de vendre un match
serré et arrêtent de mettre les candidats sur un pied d’égalité. Ce qui était
bon pour leur audience (couverture disproportionné de Trump, mise en parallèle
de ses propos avec les emails de Clinton servis à toutes les sauces) a nui au débat démocratique. Les taux
d’audiences historiques de ces chaines s’opposent au taux d’abstention lui
aussi relativement historique (nous y reviendrons). Cela s’est retrouvé jusqu’aux
questions des journalistes lors des débats qui auront évité des sujets majeurs
comme le climat ou le social et alimenté la perception selon laquelle les
américains avaient à choisir entre deux démon (« two evils ») ou bien
« un psychopathe et une criminelle ». Cela explique en partie le taux d’abstention élevé et le
vote important pour les candidats alternatif qui brillaient pourtant par des
aspects loufoques et une inaptitude chronique à répondre aux questions des
journalistes, ou à maintenir un discours cohérant (8)
Le virage trop tardif
entrepris par ces même chaines après la démonstration magistrale d’Hillary
Clinton lors du premier débat n’a, en réalité que renforcé l’impression de l’existence d’un système
poussant à faire élire Clinton (un comble). Le mal était fait, et le candidat
Trump et ses idées depuis trop longtemps légitimées.
Cela m’amène au dernier
point : le rôle des nouveaux médias et réseaux sociaux. Aux Etats-Unis, plus de 50% de la population s’informe
désormais exclusivement via les réseaux sociaux. Or, ces derniers ont un triple
effet particulièrement négatif.
1)
Nous avons tendance à nous entourer de gens
partageant nos opinions et nos valeurs. Cela conduit forcément à évoluer dans
une sorte de bulle qui nous protège des opinions contraires. Les lecteurs du
Point et du Figaro ne lisent généralement pas Libération et Charlie Hebdo, et
vice-versa. Mais au moins, ils sont au courant de la nature partisane de ces
sources d’informations. Avec les réseaux sociaux, l’effet s’aggrave car
les chances que vos amis partagent avec vous des points de vue contradictoires
sont faibles. Si ces réseaux sociaux deviennent votre principale source
d’information, ils opèrent alors un premier filtre par le simple fait que vos
relations, en grande partie, partagent des valeurs similaires aux vôtres.
2)
Second
filtre : les algorithmes de Google, Facebook et autres réseaux sociaux
vous présentent en priorité du contenu susceptible de vous intéresser. Ces
nouveaux médias filtrent ainsi l’information pour vous et transforme votre
« feed » en bulle isolée de la réalité.
3)
Avec des amis
biaisés et un news feed construit pour aggraver ce biais, il ne reste plus qu’à
ajouter le principal problème d’internet : la véracité des informations.
Le résultat est explosif.
Une preuve parmi d’autre : j’allais inclure dans cet article une citation
de Donald Trmp datant de 1998 : « Si je devais me présenter à la
présidentielle, je le ferais en tant que candidat républicain. Les électeurs
républicains sont stupides, ils croient tout ce que Fox News raconte. Je
pourrais raconter n’importe quel mensonge et monter dans les sondages ».
Problème, en cherchant la citation exacte, je me suis rendu compte qu’il
s’agissait d’une intox qui avait perduré pendant six mois sur la toile et
imprégné mon subconscient !
Les sites de désintox
comme buzzfeed ont récemment livré des statistiques effarantes : 38% des
informations divulguées par des pages facebook conservatrices étaient fausses,
20% pour le camp démocrate. Une sur cinq, dans le meilleur des cas !
Cet effet se retrouve
également dans les moteurs de recherche comme Google qui vont pousser les
résultats en fonction de votre sensibilité. Ainsi, si je tape les mots « Obama » et « Kenya »
google me renvoi sur les pages
Wikipédia et à de nombreux articles concernant les voyages d’Obama au Kenya. Un supporter de Trump risque, lui,
d’être renvoyé en premier vers les sites conspirationnistes qui vont alimenter
l’idée selon laquelle Obama n’est pas américain.
L’hebdomadaire de centre
droit « Time magazine »
a récemment publié un article concernant un phénomène rencontré lors des
meetings de Donald Trump : une proportion alarmante des gens interrogés
vivent dans un cocon et croient dur comme fer à de nombreuses fantaisies
perpétués par des sites d’informations douteux. La journaliste témoigne avoir
vu un homme qui répondait à ses questions se faire interrompre par son
ami montrant son téléphone et s’indignant: « Obama vient d’annoncer
qu’il allait se représenter »(11).
Cette bulle médiatique
affecte les démocrates comme les républicains. Donald Trump s’est lui-même
livré à la divulgation via son compte Tweeter de nombreux hoax et a répondu aux
critiques des journalistes "c'est sur Internet, je ne vais pas commencer à
questionner tout ce que je lis sur internet ! ». Et bien si, ce
serait plutôt bienvenu.
5) La faillite des élites
Par élites, j’entends la
classe politique, les médias et commentateurs ainsi que les intellectuels et
milieux d’affaires.
Du côté républicain, les ténors
du parti et les intellectuels ont laissé le mouvement glisser vers des extrêmes
depuis des années, flirtant avec les thèses racistes concernant Obama, attisant
les peurs et les haines diverses et se livrant à un véritable blocage
institutionnel depuis l’élection de 2008. Ils ont soutenu la négation du
réchauffement climatique (70% de leurs électeurs sont toujours convaincu qu’il
s’agit d’une conspiration, au service de qui, je vous laisse le plaisir de le
découvrir) et bloqué les moindres réformes visant à améliorer le niveau de vie
de l’américain moyen. Trump n’est que la conséquence logique de leur glissement
intellectuel et moral.
Les démocrates ne sont
pas en reste. En plus d’avoir déserté la classe ouvrière au profit des intérêts
financiers, ils ont choisi le pire candidat possible. Le très populaire et
charismatique vice-président Joe Biden fut jugé trop vieux (73 ans, contre 70
pour Trump), la sénatrice Elizabeth Warren trop inexpérimenté… il ne restait
plus que Bernie Sanders, le vieux sénateur du Vermont.
Ce derniers a fait une
campagne des primaires en tout point exemplaire. Son programme révolutionnaire
à bien des égards voulait mettre fin au système de financement des partis,
démanteler les grandes banques de Wall Street, augmenter les impôts sur
les riches pour financer l’éducation gratuite et l’accès au soin, mettre en
place un smic et arrêter la course au libre-échange. Il partait de loin !
Voix rauque, cravates usagées, costard mal taillé, accent qui passe mal et
refus d’accepter les financements classiques.
Le résultat ? Un engouement
sans précédent des jeunes et d’une part de cette fameuse classe populaire. Des
meetings devant cinquante mille personnes là où Clinton avait du mal à remplir
une salle de cinq mille sièges. Des millions de dollars de fonds levés grâce
aux dons individuels de 20 dollars en moyenne et des victoires aux primaires
dans les états de la Rust Belt ! Les fameux états qui comptent.
Décrié par l’ensemble de
la presse (y compris le New York Times), il aura fallu recourir à une certaine
triche (révélé par wikileaks) et une complaisance des élus démocrates pour le
battre. Une partie de ses électeurs déçus ne sont pas allé voter, ont voté pour
les petits candidats ou carrément pour Trump (10% d’entre eux!). A vouloir
choisir le candidat le plus présentable, les démocrates se sont coupés du
peuple. Je ne reviendrais pas de nouveau sur l’échec des médias et des experts,
si ce n’est pour mentionner leur incapacité à élever le débat au-delà des
fameux scandales et pointer du doigt les sondages, qui en donnant
systématiquement Clinton vainqueur avec une marge très importante, ont
peut-être décourager certains électeurs de se rendre aux urnes.
Plus généralement, la classe dirigeante dans son ensemble,
qui depuis des années pousse à toujours plus de capitalisme et de
mondialisation au profit de la finance et aux détriments des classes moyennes
subit un retour de bâton sans précédent. Cette vague populaire a préféré fermer
les yeux sur le racisme du milliardaire plutôt que sur la corruption et tout ce
que représente madame Clinton.
De nombreux « progressistes »
balayent cette protestation un peu vite, en taxant les électeurs du Brexit ou
de Trump de racistes, d’imbéciles et d’égoïstes. C’est ignorer l’existence d’un
sentiment plus profond, celui d’un ras le bol qui peut paraitre curieux aux
Etats Unis compte tenu du succès des politiques d’Obama, mais qui devrait
s’exprimer encore plus violement en Europe où les problèmes sont bien réels. La crise des migrants, la menace
terroriste et les ravages causés par six années de politique d’austérité sont des facteurs incomparablement
plus graves que la stagnation du revenu médian aux Etats-Unis.
6) L’abstention et le vote républicain
L’analyse ne serait être
complète sans mentionner deux derniers groupes d’électeurs : ceux qui
n’ont pas voté, et ceux qui ont voté quand même.
Le taux d’abstention de
plus de 40%, en hausse comparé aux années Obama et largement supérieur aux taux
observés en France pour les scrutins nationaux peut surprendre l’observateur extérieur.
Trois facteurs essentiels
expliquent ce chiffre.
Le premier, et le
principal à mon avis, tient au format du scrutin. Parce que seul les résultats par
état comptes, et que de nombreux états sont virtuellement imprenables pour un
camp ou l’autre, voter dans ces Etats devient ironiquement peu important. Un
électeur du Texas, de la Californie ou de l’Etat de New York (les trois
principaux états démographiques) n’ont que peu de chance d’avoir un impact sur
une élection.
L’organisation de la vie
politique américaine en deux partis avec un système de contrepouvoir freinant
l’exécutif alimente la perception que les deux partis conduisent la même
politique, et de façon inefficace. Etant donné la nature clivante de cette
élection, cet argument du « tous les mêmes » ne tient pas réellement, cependant cette
perception est très ancré dans la conscience des américains et possède une
certaine inertie.
A cela vient s’ajouter la
difficulté objective de voter aux Etats-Unis. Pour des raisons historiques, on vote
un mardi. Ce qui, pour la plupart des américains, signifie s’absenter du
travail, conduire pendant des dizaines de kilomètres pour faire la queue
pendant plusieurs heures.
Ce sujet mériterait un
article à lui seul tant il est capital. En effet, l’inégalité face au vote aux
Etats-Unis est dramatique. Un citadin relativement aisé n’a aucun problème pour
aller voter : il peut se permettre de s’absenter de son travail, possède
une voiture, peu payer le cout de transport du déplacement et possède les
papiers d’identités requis pour se rendre aux urnes. Il vit probablement dans
un état permettant de voter avant le jour J et dans un comté mettant en place
un maillage efficace et dense de bureaux de votes réduisant la distance et la longueur
de la file d’attente qui le sépare de l’isoloir.
Inversement, un électeur
pauvre ne possédant ni moyen de transport, ni moyen financier, payé à l’heure
et vivant loin des bureaux de votes qui seront bondés risque de réfléchir à
deux fois avant de se déplacer.
Cette réalité est sujet
de nombreux débats, en particulier dans les états républicains ou le pouvoir en
place à souvent pris un grand nombre de mesure incroyablement discriminatoires
envers les pauvres et les noirs en particuliers pour s’assurer qu’ils ne se
rendraient pas aux urnes. Martin Luther King, pas si loin de nous que vous
l’imaginez.
Enfin, le choix entre
Clinton et Trump n’a enthousiasmé que très peu de gens.
Un autre facteur
d’abstention pourrait s’expliquer par le vote blanc ou nul des Démocrates et
partisans de Sanders d’un côté, et des Républicains traditionnels de l’autre.
Il semblerait néanmoins que ce dernier groupe ait bel et bien voté Trump. Et
une des raisons principales s’explique par la question de la Cour Suprême.
Comme je l’ai déjà
mentionné, le remplacement des juges de la Cour Suprême incombe au président
(avec le soutien du Sénat). Et pour les américains ce dernier rempart est particulièrement
important. Les républicains ne voyant pas d’un très bon œil la remise en cause
(très partielle !) du port d’arme et la généralisation du droit à
l’avortement et des droits des homosexuels et transsexuels, ils ont préféré élire
un raciste défendant leurs valeurs traditionnelles qu’une progressiste les
remettants en cause. L’Amérique reste plus conservatrice que on pourrait le
penser.
7) Le rôle des primaires et conclusions
Je voudrais terminer par
un dernier élément de réponse : le rôle des primaires.
J’ai eu l’opportunité
d’assister à une conférence d’un docteur en science politique de l’Université
de Houston quelques semaines avant l’élection. Il constatait, chiffres à l’appui,
que l’impopularité des deux candidats constituait un fait sans précédent.
Comment en est-on arrivé
là ?
Sa réponse : le taux
de participations aux primaires est extrêmement bas (10% des électeurs affiliés
à un parti) et les électeurs qui se déplacent sont généralement les plus
activistes.
Cela explique, dans le
camp démocrate, la difficulté de Sanders à renverser la machine Clinton. Et
dans le cas républicain, le succès de Trump.
Je voudrais conclure en rappelant
ceci : Trump n’a gagné aucune des élections primaires par majorité absolue
(il y avait toujours au moins deux candidats en face de lui qui rassemblait au
total plus de suffrages) et n’a été investi que par une fraction des 10%
d’électeurs ayant ensuite voté pour lui.
La France a adopté le
même système des primaires. En conséquence, le principal enseignement que je
retire de l’élection de Trump est le suivant :
Votez aux primaires, et votez pour le candidat qui
vous inspire, pas pour celui que « les experts» vous impose.
Conclusion :
L’élection de Trump
influence déjà notre propre vie politique, et aura indéniablement un impact
important sur les élections françaises. Dans les mots, les discours, les
récupérations, les choix de candidats et de programme, les idées et plus simplement le résultat des
suffrages.
A ce titre, il est
essentiel de bien saisir les causes de cette victoire surprise de Donald Trump.
Elles sont complexes, et en majeur partie particulières aux Etats-Unis. Mais
certaines grandes lignes ne peuvent être ignorées.
Le rejet des élites, vu
aux Philippines, en Pologne, en Hongrie, en Finlande , avec le Brexit (pour ne
citer que les cas des victoires populistes) et désormais aux Etats-Unis est
bien réel.
Clinton incarnait
l’expérience, elle a perdu. Sanders et Trump, dans des styles diamétralement
opposés (il est capital de le rappeler) incarnent le changement : ils ont
gagnés.
La façon de faire
campagne a changé, le rôle des médias (nouveaux comme anciens) est déterminant,
et la nécessité d’opposer aux candidats racistes des alternatives de qualité
parait évident.
J’espère que ce long
article vous aura permis de mieux saisir la complexité des causes de cette
victoire et fourni quelques clés pour ne pas vous laisser aveugler par les
conclusions simplistes que nos politiciens se plaisent déjà à tirer.
Sources et annotations:
(1)
: Les
chiffres de clinton et Trump sont basés sur les derniers chiffres officiels
datés du 15 novembre (NYT.com et CNN.com), ceux des candidats secondaires
sont basé sur des estimations
datant du 9 novembre (uselectionatlas.com). Il est très difficile de trouver
les chiffres des candidats
secondaires, les médias se contentant de rendre compte du face à face principal,
ce qui tend à invalider l’intérêt du vote pour les petits candidats.
(2) Wikipedia, citant the bipartisan policy center and the center fr the
study of the american electorate
(3) New York time
(4)
CNN.com
« exit poll » (sondages en sortie des urnes)
(6)
Plusieurs
études ont démontré la couverture médiatique négative en la chiffrant en termes
de milliard de dollars (en comparant ce que ce temps d’antenne aurait couté à
ses adversaires pour générer ce
même effet), voir en particulier les archives du Washington post.
(8)
Un
« meme » désigne un contenu médiatique partagé sur les résaux
sociaux. Typiquement, des photos avec phrase incrusté, des montages vidéos, des
plaisanteries graphiques…
(9)
https://www.buzzfeed.com/ishmaeldaro/trump-fake-quote-people-magazine?utm_term=.vsRLmz35y#.kixXQ8L9g
(10) https://www.buzzfeed.com/craigsilverman/partisan-fb-pages-analysis?utm_term=.wyROgX62Z#.lkVKwOAlP
(11)
Article lu dans une salle d’attente, la
citation est potentiellement imprécise. Pour plus d’information sur le sujet https://www.buzzfeed.com/craigsilverman/partisan-fb-pages-analysis?utm_term=.wyROgX62Z#.lkVKwOAlP
Encore une perle, merci Tarantulo !
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