vendredi 14 octobre 2016

Compte rendu : premier débat de la primaire de la droite et du centre



La cage aux fauves

Apparemment je n’avais rien de mieux à faire Jeudi soir que d’écouter sur RTL en live le premier débat des primaires de la droite et du centre. Voici à chaud une analyse rapide pour ceux qui aurait raté ce grand moment de politique Française.

1) Le plateau

D’un côté trois journalistes dont je reviendrais sur la prestation, de l’autre sept candidats, ou devrais-je dire sept poids lourds de la politique Quelques présentations s’imposent.

Alain Juppé (42% d’intentions de vote), ancien premier ministre, ministre, député et maire de Bordeaux. Condamné dans l’affaire du financement occulte du RPR. Enarque ? Oui. Fun fact/ citation: « le meilleur d’entre nous »

Nicolas Sarkozy (28%), ancien président, ministre, député, maire de Neuilly, mis en examen ou cité dans 11 affaires judiciaires. Enarque ? Non. Fun fact / citation: « casses toi, pauvre con »

Bruno Lemaire (13%), ancien ministre de l’agriculture et député.  Enarque ?  Oui. Fun fact : Le Maire est le seul candidat à n’avoir jamais brigué un mandat de maire.

François Fillon (11%), ancien premier ministre, ministre (6 gouvernements), député, maire. Enarque ? Non. Citation : « je suis à la tête d’un Etat en faillite » lui-même, en 2002.

Nathalie Kosciusko Morizet (4%), ancienne ministre et seule femme candidate. Enarque ? Non, mais polytechnicienne. Fun fact : a.k.a NKM.


Jean-François Copé (2%), ancien maire, député, chef de l’UMP et secrétaire d’Etat,  cité dans l’affaire Bygmalion et responsable de malversation lors de l’élection à la présidence de l’UMP l’ayant poussé à démissionner. Enarque ? Oui. Fun fact : ses grands-parents sont Algériens et Roumains.

Jean Frédéric Poisson (2%), député du parti Chrétien-Démocrate, ancien maire. Enarque ? Non. Fun fact : le poisson, symbole chrétien, est présent dans sa forme symbolique sur l’affiche de sa campagne.


Trois remarques initiales :

-            1)  Beaucoup d’expérience, peu de renouveau, un Poisson.
-          2) Beaucoup d’affaires  (au moins 13), de mises en examen (au moins 12) et de non-lieu. 
        3) Les ambitions des candidats varient beaucoup. Certains sont clairement là pour récupérer un ministère, tandis que deux à quatre candidats peuvent prétendre à la victoire finale.  Cela signifie que les petits candidats ont intérêt à se démarquer. 


      2) Le format


Des questions personnalisées posées par les journalistes aux candidats, qui disposent de 60 secondes pour y répondre. Cela  pose la question de l’impartialité des modérateurs et de la simplification des réponses. Une minute, toutes les dix minutes, pour s’exprimer sur un sujet précis, cela rend le débat nécessairement compliqué.

Et cela c’est vérifié : Juppé se trouve à de nombreuses reprises « attaqué  de front» par les journalistes, comme d’autres candidats plus tard dans les débats, alors que certains se trouvent plus ou moins immunisés.

Plus dommageable, le temps de parole de 1 minute par tour rend toute réponse de fond très difficile. La multiplication des thèmes et des candidats rend le débat particulièrement brouillon. Difficile de s’y retrouver sans prendre des notes et faire des pauses. 


3) Les journalistes

Elizabeth Martichoux place efficacement les candidats devant leur « langue de bois », les reprenant à chaque fois qu’ils ne répondent pas à la question et appuyant avec justesse là où cela fait mal. A l’inverse, les deux autres journalistes (masculin) piétinent et interrompent sans succès ni pertinence.


Première partie : l’économie & l’emploi

Une heure sur l’économie, l’emploi, la dette… c’est plutôt heureux. Les propositions des candidats un peu moins, elles auront peut-être pour effet de remotiver la gauche, on le verra. Les différences sont globalement plus dans les détails et, sans rentrer dans les chiffres, on notera tout de même les principales idées.

Tous les candidats promettent de lutter contre la dette tout en abaissant massivement les charges sur les entreprises (Fillion et Sarkozy parlent de choc)  et les impôts sur le revenu. Seul Alain Juppé reste plus raisonnable sur les baisses d’impôts sur le revenu, tandis que Copé veut compenser les baisses par des hausses de TVA. Tous veulent supprimer l’ISF dans les faits, ainsi qu’un nombre assez important de fonctionnaires (entre 300 et 500 mille).

Pour réaliser l’acrobatie formidable qui consiste à ramener les déficits à 0.5% du PIB (soit une économie de 80 milliards par an sur un budget de l’état de 375 milliard)  tout en baissant les recettes de l’Etat de 30 à 80 milliards d’euros par an (soit 2 à 4% du PIB de déficit en plus), les mesures avancées peuvent paraitre suspectes, bien qu’aucun journaliste n’ait pris le temps de le relever. C’est le jeu, me direez-vous.

Sont cités unanimement : la suppression de 300 à 500 mille postes de la fonction publique, l’âge de la retraite poussé plus ou moins progressivement à 65 ou 64 ans, la fin des régimes spéciaux et la dégressivité de l’assurance chômage.

De nouvelles dépenses (en matière de sécurité notamment) sont avancées, ce qui n’aide pas à prendre confiance dans l’arithmétique budgétaire des candidats.

Autres positions très fortes : la fin des 35 heures, avec des nuances, plus souvent négociées au sein des entreprises. Une charge musclée contre les syndicats, et en particulier la CGT,  plus ou moins nuancée selon les candidats. Et de manière générale très peu de propositions pour la classe moyenne inférieur et les classes modestes qui ne sont bien entendu ni concernées par les baisses d’impôts, ni par la suppression de l’ISF.

Je note quelques points capitaux :

1) Le pays val mal, est au bord de la faillite, en crise, cours à la catastrophe… à l’exception du diagnostic un peu plus serein de Juppé et NKM, le portrait tiré est alarmant. Hollande est fortement critiqué, en particulier pour ses hausses d’impôts importantes et son inefficacité à gouverner. Bien entendu personne ne lui reconnait la prouesse d’avoir réduit de moitié les déficits, ni d’avoir abaissé massivement les charges des entreprises.


2) Aucune remises en cause direct de l’idéologie de l’austérité budgétaire bien que ses conséquences soient souvent fustigées (en particulier les hausses d’impôts).

3) Une politique économique d’offre, par la baisse massive des charges des entreprises et l’augmentation du temps de travail. On pourrait y opposer des solutions plus « keynésiennes » comme l’augmentation de la dépense publique (investissement public), dans l’économie verte (subventions) ou plus directement une politique visant à favoriser la demande (baisse des prélèvements). Le plan proposé par LR est idéologiquement cohérent mais très conservateur.

4) Peu de détails, il semble que les grosses entreprises, dont celles du CAC40, vont bénéficier d’avantage des réductions massives des baisses d’impôts que les PME (pour qui les baisses d'impôts sur les bénéfices est moins utiles que les baisses de charge).

En somme, un programme très à droite, conservateur et faisant à priori beaucoup de cadeaux pour les particuliers payant des impôts et les entreprises dégageant des bénéfices et à l’inverse peu de choses pour les PME et les ˜50% des foyers Français ne payant pas l’IR ni l’ISF. Dommage, car autrement le programme se veut ambitieux.

Quelques candidats se démarquent :

Fillion et Sarkozy sont plus clairs dans leurs messages, tandis que Juppé bafouille et est mis en difficulté par les journalistes du fait de la façon dont ils posent les questions.
Le Maire m’apparait comme particulièrement conservateur (ou réactionnaire), parlant de la valeur travail et voulant privatiser le pôle emploi. Surprenant pour quelqu’un voulant incarner le renouveau. J’ai l’impression qu’il s’adresse uniquement aux agriculteurs, mais je dois sans doute halluciner.

NKM est la plus en prise avec sa génération, parlant d’efforts particuliers pour soutenir les auto entrepreneurs, et les PME. Honnêtement, c’est la seule à proposer des idées nouvelles qui ne révèlent pas d’une ligne ultra conservatrice. A choisir, elle remporte mon vote pour ce premier round.


Seconde partie : l’immigration, la sécurité…

Cette partie débute par des questions adressées à Juppé et Sarkozy sur les affaires et les mises en examens. Tous deux se défendent très bien. Les attaques viennent ensuite des autres candidats, et ciblent plus particulièrement Sarkozy. Celui-ci fait appel à l’émotion et se présente comme victime de calomnies dans un style très maitrisé. La tension est forte à ce moment et on commence à comprendre que Sarkozy, seul contre six, est particulièrement exposé dans ces primaires.


Puis viennent les questions de sécurité, d’immigration et de laïcité. Et les choses pas très jolies commencent.

Sans surprise, NKM et Juppé sont les moins radicaux. Ce dernier s’en sort très bien, refusant de céder à la surenchère émotive des autres candidats où aux journalistes masculins qui tentent de l’interroger (sans succès, il répond que la question n’a pas d’intérêt) sur des polémique assez pitoyables  (les ancêtres Gaulois, par exemple).

Sarkozy fait dans l’émotion pure, agitant des spectres atroces comme les 200 millions d’habitants du Sahel, qui ont six enfants par femmes et pour qui la France est le seul pays d’immigration possible (je paraphrase), ou bien parlant des 12,000 personnes sur les fichiers S et la nécessité de mettre dans des camps de déradicalisation les plus dangereux d’entre eux (« je préfère qu’on les relâche en s’excusant, plutôt que de risquer de nouveaux attentats »).


Je note que, hélas, personne ne remet réellement en cause l’Etat d’urgence et que Copé, Le Maire et Sarkozy se livre à la surenchère de mots dur et de propositions.

Par contre, les propos sont souvent stigmatisants et les propositions aussi inutiles que contestables (l’interdiction du port du voile dans les entreprises privés ? du Burkini sur les plages ?).



Conclusion :

Juppé est sorti renforcé grâce à la hauteur qu’il a su prendre dans la seconde partie du débat, du moins du point de vue « centriste ». Sarkozy a été victime du format et de la multiplicité des candidats, son message se perdant dans le torrent de populisme affiché en seconde partie.

NKM a été la seule candidate a avancer des idées novatrices (certaines feront hurler  la gauche, d’autres séduirons les jeunes et les centristes) et semble la seul candidate ayant pris mesure des transformations profondes de la société d’un point de vue de la vie économique.

Le Maire, à ma grande surprise, apparait particulièrement réactionnaire (conservateur).

Fillon, très sûr de lui et présidentiable semble-t-il, mais très conservateur/libéral sur le plan économique.

Copé, version Sarkozy 2.0

Poisson, lui, a fait beaucoup de bulle. Dommage, un candidat pour du beurre là où de la fraicheur et de l’audace aurait-été les bienvenues. Sa seul intervention notable concerne la critique de l’Etat d’urgence.

Quelques grands absents (ou perdant) :


1) L’Europe

Pratiquement tout est décidé à l’échelle Européenne, la politique économique, migratoire, budgétaire… et aucune mention n’est faite de l’Europe. Incroyable mais vrai.


2) L’environnement

On ne parle ni de réchauffement climatique, ni de l’économie verte, ni des nouvelles énergies ou technologies.



3) Le Monde

Pas le temps d’évoquer la crise au Moyen-Orient (responsable des problèmes d’immigration),  ni le traité de libre-échange transatlantique ou les tensions extrêmement graves avec la Russie en Syrie.



Un débat dans un bocal, sans mauvais jeux de mots. 

2 commentaires:

  1. “Gouverner un grand pays revient à cuire un petit poisson.”
    Lao-Tseu

    RépondreSupprimer
  2. Quand le poisson est pris, on oublie la nasse. Quand l'idée est transmise, peu importent les mots qui ont servi à la convoyer.

    RépondreSupprimer