vendredi 14 octobre 2016

Compte rendu second débat élections américaines

Les jeux du cirque

Les médias américains promouvaient ce deuxième débat comme s’il s’agissait d’un grand match de boxe. Pourtant, le format question réponse avec un panel d’électeurs indécis devait permettre d’assister à un engagement indirect où chaque candidat défendrait ses idées en répondant aux citoyens présents dans la salle. Historiquement, ce format permet aux candidats de démontrer leur empathie tout en abordant des problèmes concrets qui touchent les américains. Dans cet exercice, Clinton semblait largement favorite. De par son expérience, sa nature et son empathie naturelle que ses proches lui prêtent et qui ne ressort pas nécessairement lors de débats traditionnels.

Au lieu de cela, le débat tourna à un véritable affrontement de gladiateur, incitant les commentateurs à le qualifier de pire évènement politique de l’histoire des Etats Unis.

Si la décision des journalistes américains de soumettre les deux candidats à des questions posés par des  électeurs via facebook, en plus des membres de l’audience, n’a pas aidé a respecter le format qui se voulait plus une discussion entre les candidats et l’audience qu’un affrontement, c’est avant tout le contexte particulier qui a conduit à cette véritable tragédie démocratique.

Le contexte :

Malgré la performance scénique de Pence, le colistier de Trump déclaré vainqueur (dans le style) du débat vice présidentiel, le candidat républicain continue de chuter dans les sondages.

48 heures avant le débat, une bombe éclate dans la presse. Il s’agit d’une vidéo datant de 2005 dans laquelle Donald Trump se vante de la facilité avec laquelle il couche avec les femmes, même mariés, dans des termes particulièrement vulgaires (« je les attrapes par la chatte »). Le scandale qui s’ensuit pousse de nombreux cadres du parti républicain à retirer leur soutien à Donald Trump tout en lui demandant d’abandonner la campagne. Alors que le camp Clinton s’efforce de garder le silence, après avoir vivement condamné la vidéo, le camp Républicain se déchire. Les grands médias passent la vidéo en boucle et laissent entendre que la première question du débat aura pour sujet cette fameuse vidéo.

Dans de telles circonstances, il m’est apparu approprié d’aller visionner ce second débat dans un bar, le Axelrad Beer Garden.

Quarante bières artisanales à la pression, une centaine en bouteilles, deux food truck, un gigantesque patio où se sont regroupé environ deux cents personnes et deux caméras de télévision locale, les conditions me paraissent idéales pour une expérience hors du commun.

Les organisateurs offrent une pinte à chaque personne s’inscrivant sur les listes électorales sur place. Difficile de trouver une chaise ou un hamac de libre pour suivre le débat sur l’écran géant. Pourtant, à 8h00, les candidats entrent dans l’arène, l’assistance se tait et la joute commence.






20 irréelles premières minutes.

La seconde question du débat a trait à la fameuse vidéo. Trump produit des excuses rapides et peu convaincantes avant de se lancer dans une ellipse qui le conduit en dix secondes à parler du terrorisme et d’ISIS. Il cite 6 fois le nom de l’organisation terroriste, le reste m’échappe un peu, le public exprimant autour de moi sa consternation. Les deux minutes épuisés, Clinton intervient pour asséner une réponse parfaitement préparée qui vise à démontrer à quel point la vidéo montre la vrai nature de Donald Trump et prouve (après avoir rappelé tous ses commentaires racistes, xénophobes et sexistes) qu’il n’est pas capable de remplir la fonction présidentielle.

Le modérateur presse un peu plus Trump de s’expliquer sur la vidéo, il affirme alors « avoir le plus grand respect pour les femmes » (tonnerre de rires moqueurs dans l’assistance autour de moi) avant de s’en prendre à Bill Clinton pour ses problèmes avec les femmes et Hillary, pour avoir combattu les femmes ayant intentées des procès pour harcèlement sexuel à Bill Clinton « la vidéo ce sont des propos de vestiaires, uniquement des mots, alors que dans le cas de Bill Clinton il s’agit d’actes »).

Dans les échanges qui s’ensuivent, Trump parle de nouveaux de terrorisme, répondant complètement à côté des questions, refusant d’admettre plus de tords et attaquant Clinton sur les échecs de sa politique. Les modérateurs tentent de le forcer à reconnaitre la gravité de ses propos. A ce moment, il semble que Donald est sur le point d’imploser.

La seconde question, concernant la réforme d’assurance santé, posée par un membre du publique, arrive à point nommé pour hausser le niveau et calmer des échanges de plus en plus virulents.

Une fois de plus, Hillary Clinton marque des points, démontrant sa maitrise du sujet et son empathie envers la personne ayant posé la question, se rapprochant du publique pour y répondre. Trump se place alors dans son dos dans une attitude menaçante, en attendant son tour. Il fustige la réforme d’Obama avec de grands superlatifs sans proposer quoique ce soit de concret. Les modérateurs le presse de donner plus de détails, il évite la question et attaque de nouveau le bilan d’Hillary.

Le débat dure depuis vingt minutes, l’attention de l’assistance se relâche (pourtant, il s’agit bien de leur couverture santé, me fait-on remarquer) et il semble que Hillary est sur le point de plier le débat.

Le tournant

Nouvelle question, sur le « scandale » des emails d’Hillary. Trump, dont l’agressivité, corporelle et linguistique, ne cesse d’augmenter, se jette sur l’occasion. Hillary se défend un peu moins bien que prévu, puis Trump reprend la parole, disant « je ne voulais pas en arriver là, je le regrette,  mais je vais devoir le dire (la tension dans le bar est alors à son comble, l’assistance frissonne), si je suis président je nommerais un ministre de la justice qui appointera un juge pour enquêter spécialement sur votre situation, car il n’y a jamais eu autant de mensonges dans l’histoire, autant de malversations, et on aura un juge spécialement pour vous»

Hillary, incrédule devant une menace anticonstitutionnelle, interrompt « et bien, c’est heureux que ce ne soit pas un homme au tempérament aussi instable que Donald Trump qui soit responsable des lois dans notre pays »

« Oui, parceque vous seriez en prison » (because you’ll be in jail)

Cette interruption provoque un tonner d’applaudissement dans l’audience sur le plateau (pourtant sommée de rester silencieuse) et de rires et exclamations plus « sarcastiques » autour de moi.

Le débat change ensuite de sujet, mais à partir de ce moment, Trump va parvenir à se contenir tout en lançant des attaques incessantes et virulentes en direction d’Hillary. Cette dernière va apparaitre plus sur la défensive, cherchant à conserver son calme et à se focaliser sur le public.

La performance de Trump

Suite à ce « tournant »,  Donald Trump va parvenir à conserver un certain calme et être capable d’articuler de nombreuses critiques envers son adversaire, tout en conservant une attitude agressive (à un moment j’ai eu peur qu’il agresse physiquement Hillary Clinton, à un autre que cette dernière craque psychologiquement). Sa stratégie déroutante semble avoir quelque peu payée : au lieu de s’efforcer de répondre aux questions, il se contente très souvent d’attaquer son adversaire, lançant jusqu’à quatre critiques sur quatre sujet distinctifs en une intervention. Cela place Hillary dans une double difficulté, elle doit choisir entre réfuter et argumenter pour se défendre sur 4 points complètement déconnectés (la Russie, l’accord avec l’Iran, sa carrière politique et son soutien à la guerre en Irak en 2002) tout en devant pointer du doigt les mensonges de Trump qu’il vient de proférer (le fait qu’il était contre la guerre en Irak), sachant qu’aucun de ses sujets n’est réellement en lien avec la question d’origine (la Syrie). Ou simplement expliquer que tout ce que Trump vient de dire n’est que mensonge et fausse allégations vérifiable sur internet, avant d’expliquer son plan pour la Syrie.

Non seulement cest particulièrement exigeant en terme de concentration et de capacité intellectuelle et demande un certain contrôle de soit (alors que Trump vient d’utiliser des mots très dure comme « elle a mentit au sujet de… » et « celle-là n’a rien fait pour le pays), mais cela rend difficile le fait d’articuler une réponse complète et pertinente à la question initialement posée.

A de nombreuses occasions, le procédé se répète. Trump lâche attaque sur attaque, proférant au passage des aberrations (les Etats Unis est un des pays ou l’on paye le plus d’impôt, Elle veut les augmenter pour tout le monde) et Clinton peine à articuler une réponse convaincante.

Bien qu’il n’ait à aucun moment fournit de détails sur ses propres plans, il s’est avéré très efficace dans la critique de son adversaire.

Son attitude très agressive, le fait qu’il se soit placé à mainte reprise dans le dos d’Hillary Clinton, qu’il l’ait pointé du doigt avec irrespect, qu’il n’ait pas réellement engagé les personnes posant les questions, tout cela devrait laisser une impression très négative à son sujet. En particulier chez les femmes. En ce qui me concerne j’ai été par moment choqué par la violence subconsciente communiqué envers Hillary Clinton, à tel point que j’avais peur qu’elle finisse par craquer (il n’en a rien été).


La performance de Clinton 

Elle s’est montrée plus calme et tournée vers les membres de l’audience. La qualité de ses réponses a baissé au fur et à mesure du débat, en partie je pense par usure psychologique. Elle a manqué de répartie tandis que Trump a pu habillement tourner au ridicule certaines de ses lignes de défense (sur ses discours aux banques de wall street en particulier). Elle a eu de belles opportunités d’attaquer son adversaire, qu’elle a choisi de ne pas utiliser, et à eu du mal à convaincre de ses propres convictions.

Sa maitrise corporelle jouera probablement en sa faveur. Sa répartie un peu moins.


Vainqueurs et perdants :

Encore une fois, la démocratie et le public en général ne sortirons pas grandi de ce débat dont le niveau fut à tout point  « déplorable ». Personnellement, je suis effaré par la qualité particulièrement faible des questions du public, par la facilité avec laquelle Trump s’est appliqué à ne pas y répondre (les modérateurs lui demandant plusieurs fois d’y revenir, ce qui lui permit de bénéficier de plus de temps de parole sans pour autant répondre à la question) et la quantité de « mensonges » proférés par ce dernier (Clinton a commis des exagération, tandis que Trump est allé jusqu’à nié des choses qu’il avait dit lors d’interventions télévisés).

Les commentateurs politiques me déçoivent également, se contentant souvent de critiquer le style (et donc de déclarer un match nul) plutôt que le fond. Sur ce plan il est évident qu’Hillary l’emporte, mais ce qui compte est bien entendu la perception des gens. Seront-ils effarés par le manque de contenu des réponses de Trump et rebutés par son style agressif, ou seront-ils conciliant et séduit par la simplicité de son message et sa répartie ?

Ce qui ressort le plus des commentaires que j’ai pu lire est que Trump a énergisé sa base électorale et évité la catastrophe, tandis qu’Hillary a manqué une opportunité de faire de même avec la sienne ou de mettre son adversaire KO. Elle est néanmoins apparue une fois de plus comme bien plus compétente et présidentiable, un point important pour convaincre les électeurs indécis.

La menace de Trump de mettre en prison Hillary n’est pas à prendre à la légère. Elle ravira tous les détracteurs de Clinton qui voient dans le scandale des emails (injustement martelé par la presse pendant des mois malgré l’absence de délit) la preuve de la corruption de Washington. Mais c’est du jamais vu dans la vie politique démocratique, une négation de la séparation de la justice et de l’état qui rapproche Trump d’un dictateur.

On verra dans quelques jours ce que les sondages d’opinions produiront, pour l’instant Hillary est confortablement en tête. Mais la question cruciale, sauf nouveau rebondissement imprévu, sera de savoir si les électeurs de chaque camp iront voter. Les fidèles de Trump se déplaceront, les démocrates peu enchantés par la candidature d’Hillary, c’est moins sûr.



Le mot de la fin :

Après 90 minutes dans l’arène, la dernière question fait redescendre la pression : pouvez-vous citer une qualité chez votre adversaire.

Clinton choisit une réponse conformiste : elle mentionne les enfants de Donald Trump, qui sont tout à son honneur.

Trump, bien plus inspiré, obtient le dernier mot avec sa réponse : «  c’est une battante, elle ne renonce jamais et je respecte ca »

PS :Mon blog favori, wait but why, vient de mettre en ligne une version humoristique du script du débat, qui je dois le reconnaître, n’est pas aussi éloigné que je le souhaiterais de la réalité (bien que le critique d’Hillary est à mon sens poussée au maximum pour conserver l’effet comique).





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