Les jeux du cirque
Les médias américains
promouvaient ce deuxième débat comme s’il s’agissait d’un grand match de boxe.
Pourtant, le format question réponse avec un panel d’électeurs indécis devait
permettre d’assister à un engagement indirect où chaque candidat défendrait ses
idées en répondant aux citoyens présents dans la salle. Historiquement, ce
format permet aux candidats de démontrer leur empathie tout en abordant des
problèmes concrets qui touchent les américains. Dans cet exercice, Clinton
semblait largement favorite. De par son expérience, sa nature et son empathie
naturelle que ses proches lui prêtent et qui ne ressort pas nécessairement lors
de débats traditionnels.
Au lieu de cela, le débat
tourna à un véritable affrontement de gladiateur, incitant les commentateurs à
le qualifier de pire évènement politique de l’histoire des Etats Unis.
Si la décision des
journalistes américains de soumettre les deux candidats à des questions posés
par des électeurs via facebook, en plus des membres de l’audience, n’a
pas aidé a respecter le format qui se voulait plus une discussion entre les
candidats et l’audience qu’un affrontement, c’est avant tout le contexte
particulier qui a conduit à cette véritable tragédie démocratique.
Le contexte :
Malgré la performance
scénique de Pence, le colistier de Trump déclaré vainqueur (dans le style) du débat
vice présidentiel, le candidat républicain continue de chuter dans les
sondages.
48 heures avant le débat,
une bombe éclate dans la presse. Il s’agit d’une vidéo datant de 2005
dans laquelle Donald Trump se vante de la facilité avec laquelle il couche avec
les femmes, même mariés, dans des termes particulièrement vulgaires (« je
les attrapes par la chatte »). Le scandale qui s’ensuit pousse de nombreux
cadres du parti républicain à retirer leur soutien à Donald Trump tout en lui
demandant d’abandonner la campagne. Alors que le camp Clinton s’efforce de
garder le silence, après avoir vivement condamné la vidéo, le camp Républicain
se déchire. Les grands médias passent la vidéo en boucle et laissent entendre
que la première question du débat aura pour sujet cette fameuse vidéo.
Dans de telles
circonstances, il m’est apparu approprié d’aller visionner ce second débat dans
un bar, le Axelrad Beer Garden.
Quarante bières
artisanales à la pression, une centaine en bouteilles, deux food truck, un
gigantesque patio où se sont regroupé environ deux cents personnes et deux caméras
de télévision locale, les conditions me paraissent idéales pour une expérience
hors du commun.

Les organisateurs
offrent une pinte à chaque personne s’inscrivant sur les listes électorales sur
place. Difficile de trouver une chaise ou un hamac de libre pour suivre le débat
sur l’écran géant. Pourtant, à 8h00, les candidats entrent dans l’arène, l’assistance
se tait et la joute commence.

20 irréelles premières minutes.
La seconde question du
débat a trait à la fameuse vidéo. Trump produit des excuses rapides et peu convaincantes
avant de se lancer dans une ellipse qui le conduit en dix secondes à parler du terrorisme
et d’ISIS. Il cite 6 fois le nom de l’organisation terroriste, le reste m’échappe
un peu, le public exprimant autour de moi sa consternation. Les deux minutes épuisés,
Clinton intervient pour asséner une réponse parfaitement préparée qui vise à démontrer
à quel point la vidéo montre la vrai nature de Donald Trump et prouve (après
avoir rappelé tous ses commentaires racistes, xénophobes et sexistes) qu’il n’est
pas capable de remplir la fonction présidentielle.
Le modérateur presse
un peu plus Trump de s’expliquer sur la vidéo, il affirme alors « avoir le
plus grand respect pour les femmes » (tonnerre de rires moqueurs dans l’assistance
autour de moi) avant de s’en prendre à Bill Clinton pour ses problèmes avec les
femmes et Hillary, pour avoir combattu les femmes ayant intentées des procès
pour harcèlement sexuel à Bill Clinton « la vidéo ce sont des propos de
vestiaires, uniquement des mots, alors que dans le cas de Bill Clinton il s’agit
d’actes »).
Dans les échanges qui
s’ensuivent, Trump parle de nouveaux de terrorisme, répondant complètement à côté
des questions, refusant d’admettre plus de tords et attaquant Clinton sur les échecs
de sa politique. Les modérateurs tentent de le forcer à reconnaitre la gravité
de ses propos. A ce moment, il semble que Donald est sur le point d’imploser.
La seconde question,
concernant la réforme d’assurance santé, posée par un membre du publique,
arrive à point nommé pour hausser le niveau et calmer des échanges de plus en
plus virulents.
Une fois de plus,
Hillary Clinton marque des points, démontrant sa maitrise du sujet et son
empathie envers la personne ayant posé la question, se rapprochant du publique
pour y répondre. Trump se place alors dans son dos dans une attitude menaçante,
en attendant son tour. Il fustige la réforme d’Obama avec de grands superlatifs
sans proposer quoique ce soit de concret. Les modérateurs le presse de donner
plus de détails, il évite la question et attaque de nouveau le bilan d’Hillary.
Le débat dure depuis
vingt minutes, l’attention de l’assistance se relâche (pourtant, il s’agit bien
de leur couverture santé, me fait-on remarquer) et il semble que Hillary est
sur le point de plier le débat.
Le tournant
Nouvelle question, sur
le « scandale » des emails d’Hillary. Trump, dont l’agressivité,
corporelle et linguistique, ne cesse d’augmenter, se jette sur l’occasion.
Hillary se défend un peu moins bien que prévu, puis Trump reprend la parole,
disant « je ne voulais pas en arriver là, je le regrette, mais je
vais devoir le dire (la tension dans le bar est alors à son comble, l’assistance
frissonne), si je suis président je nommerais un ministre de la justice qui
appointera un juge pour enquêter spécialement sur votre situation, car il n’y a
jamais eu autant de mensonges dans l’histoire, autant de malversations, et on
aura un juge spécialement pour vous»
Hillary, incrédule
devant une menace anticonstitutionnelle, interrompt « et bien, c’est
heureux que ce ne soit pas un homme au tempérament aussi instable que Donald
Trump qui soit responsable des lois dans notre pays »
« Oui, parceque vous
seriez en prison » (because you’ll be in jail)
Cette interruption
provoque un tonner d’applaudissement dans l’audience sur le plateau (pourtant
sommée de rester silencieuse) et de rires et exclamations plus « sarcastiques »
autour de moi.
Le débat change
ensuite de sujet, mais à partir de ce moment, Trump va parvenir à se contenir
tout en lançant des attaques incessantes et virulentes en direction d’Hillary.
Cette dernière va apparaitre plus sur la défensive, cherchant à conserver son
calme et à se focaliser sur le public.
La performance de Trump
Suite à ce « tournant »,
Donald Trump va parvenir à conserver un certain calme et être capable d’articuler
de nombreuses critiques envers son adversaire, tout en conservant une attitude
agressive (à un moment j’ai eu peur qu’il agresse physiquement Hillary Clinton,
à un autre que cette dernière craque psychologiquement). Sa stratégie déroutante
semble avoir quelque peu payée : au lieu de s’efforcer de répondre aux
questions, il se contente très souvent d’attaquer son adversaire, lançant jusqu’à
quatre critiques sur quatre sujet distinctifs en une intervention. Cela place
Hillary dans une double difficulté, elle doit choisir entre réfuter et
argumenter pour se défendre sur 4 points complètement déconnectés (la Russie, l’accord
avec l’Iran, sa carrière politique et son soutien à la guerre en Irak en 2002)
tout en devant pointer du doigt les mensonges de Trump qu’il vient de proférer
(le fait qu’il était contre la guerre en Irak), sachant qu’aucun de ses sujets
n’est réellement en lien avec la question d’origine (la Syrie). Ou simplement
expliquer que tout ce que Trump vient de dire n’est que mensonge et fausse allégations
vérifiable sur internet, avant d’expliquer son plan pour la Syrie.
Non seulement cest
particulièrement exigeant en terme de concentration et de capacité
intellectuelle et demande un certain contrôle de soit (alors que Trump vient d’utiliser
des mots très dure comme « elle a mentit au sujet de… » et « celle-là
n’a rien fait pour le pays), mais cela rend difficile le fait d’articuler une réponse
complète et pertinente à la question initialement posée.
A de nombreuses
occasions, le procédé se répète. Trump lâche attaque sur attaque, proférant au
passage des aberrations (les Etats Unis est un des pays ou l’on paye le plus d’impôt,
Elle veut les augmenter pour tout le monde) et Clinton peine à articuler une réponse
convaincante.
Bien qu’il n’ait à
aucun moment fournit de détails sur ses propres plans, il s’est avéré très
efficace dans la critique de son adversaire.
Son attitude très
agressive, le fait qu’il se soit placé à mainte reprise dans le dos d’Hillary
Clinton, qu’il l’ait pointé du doigt avec irrespect, qu’il n’ait pas réellement
engagé les personnes posant les questions, tout cela devrait laisser une
impression très négative à son sujet. En particulier chez les femmes. En ce qui
me concerne j’ai été par moment choqué par la violence subconsciente communiqué
envers Hillary Clinton, à tel point que j’avais peur qu’elle finisse par craquer
(il n’en a rien été).
La performance de Clinton
Elle s’est montrée
plus calme et tournée vers les membres de l’audience. La qualité de ses réponses
a baissé au fur et à mesure du débat, en partie je pense par usure
psychologique. Elle a manqué de répartie tandis que Trump a pu habillement
tourner au ridicule certaines de ses lignes de défense (sur ses discours aux
banques de wall street en particulier). Elle a eu de belles opportunités d’attaquer
son adversaire, qu’elle a choisi de ne pas utiliser, et à eu du mal à
convaincre de ses propres convictions.
Sa maitrise corporelle
jouera probablement en sa faveur. Sa répartie un peu moins.
Vainqueurs et perdants :
Encore une fois, la démocratie
et le public en général ne sortirons pas grandi de ce débat dont le niveau fut à
tout point « déplorable ». Personnellement, je suis effaré par
la qualité particulièrement faible des questions du public, par la facilité
avec laquelle Trump s’est appliqué à ne pas y répondre (les modérateurs lui
demandant plusieurs fois d’y revenir, ce qui lui permit de bénéficier de plus
de temps de parole sans pour autant répondre à la question) et la quantité de « mensonges »
proférés par ce dernier (Clinton a commis des exagération, tandis que Trump est
allé jusqu’à nié des choses qu’il avait dit lors d’interventions télévisés).
Les commentateurs
politiques me déçoivent également, se contentant souvent de critiquer le style
(et donc de déclarer un match nul) plutôt que le fond. Sur ce plan il est évident
qu’Hillary l’emporte, mais ce qui compte est bien entendu la perception des
gens. Seront-ils effarés par le manque de contenu des réponses de Trump et
rebutés par son style agressif, ou seront-ils conciliant et séduit par la
simplicité de son message et sa répartie ?
Ce qui ressort le plus
des commentaires que j’ai pu lire est que Trump a énergisé sa base électorale
et évité la catastrophe, tandis qu’Hillary a manqué une opportunité de faire
de même avec la sienne ou de mettre son adversaire KO. Elle est néanmoins apparue
une fois de plus comme bien plus compétente et présidentiable, un point
important pour convaincre les électeurs indécis.
La menace de Trump de
mettre en prison Hillary n’est pas à prendre à la légère. Elle ravira tous les
détracteurs de Clinton qui voient dans le scandale des emails (injustement
martelé par la presse pendant des mois malgré l’absence de délit) la
preuve de la corruption de Washington. Mais c’est du jamais vu dans la vie
politique démocratique, une négation de la séparation de la justice et de l’état
qui rapproche Trump d’un dictateur.
On verra dans quelques
jours ce que les sondages d’opinions produiront, pour l’instant Hillary est confortablement
en tête. Mais la question cruciale, sauf nouveau rebondissement imprévu, sera
de savoir si les électeurs de chaque camp iront voter. Les fidèles de
Trump se déplaceront, les démocrates peu enchantés par la candidature d’Hillary,
c’est moins sûr.
Le mot de la fin :
Après 90 minutes dans
l’arène, la dernière question fait redescendre la pression : pouvez-vous
citer une qualité chez votre adversaire.
Clinton choisit une réponse
conformiste : elle mentionne les enfants de Donald Trump, qui sont tout à
son honneur.
Trump, bien plus
inspiré, obtient le dernier mot avec sa réponse : « c’est une
battante, elle ne renonce jamais et je respecte ca »
PS :Mon blog favori, wait but why, vient de mettre en ligne une
version humoristique du script du débat, qui je dois le reconnaître, n’est pas
aussi éloigné que je le souhaiterais de la réalité (bien que le critique d’Hillary
est à mon sens poussée au maximum pour conserver l’effet comique).
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